Co-living : mieux vivre ensemble (2/2)
Ces derniers jours, les bienfaits du vivre ensemble nous rendent nostalgiques... Le co-living, logement flexible axé sur les services et la communauté est une option intéressante pour l'après covid-19
La semaine dernière, nous avons montré en quoi le co-living répond à des enjeux macro sociologiques (qui continueront d’exister, même après cette crise sanitaire) :
Difficulté croissante d’accès au logement ;
Recherche de logement de durées flexibles pour les personnes en période de transition dans leur vie (études, contrats de travail courts, mobilité professionnelle, fin de carrière, préparation à la retraite) ;
Augmentation des personnes vivant seules et à la recherche de lien social.
Acteurs traditionnels (promoteurs immobiliers et opérateurs de résidences étudiantes) et start-ups (pure-players) saisissent l’opportunité en proposant des solutions Plug & Play et une expérience locative de qualité : le co-living.
Le co-living est un modèle encore très jeune en France et devrait s’affiner au fur et à mesure que le marché gagnera en maturité. Pour ce faire, les acteurs doivent faire face à deux principaux enjeux : financier et juridique.
Enjeu #1 : l’équilibre entre une offre tout inclus et la rentabilité
Les différents modèles d’exploitation : possession et/ou exploitation du logement
Selon leur modèle, les opérateurs de co-living optent ou non pour la possession des murs de leurs résidences de co-living.
Certains se positionnent sur le modèle d’exploitation en contractant un bail commercial à long terme avec un propriétaire puis des contrats d’habitation avec les co-livers. Cette tertiarisation du produit Logement apporte la visibilité tant recherchée par un investisseur qui s’affranchit de la complexité de la gestion tout en s’assurant des revenus fixes sur une longue durée.
Il arrive aussi que des opérateurs optent pour des contrats de management des lieux. L’investisseur, propriétaire des murs et du fonds de commerce verse une redevance à l’exploitant et ce dernier s’engage sur un revenu d’exploitation net à l’investisseur (pourcentage du chiffre d’affaire ou autre variable). Ce modèle est plus risqué pour le propriétaire mais lui permet de percevoir des revenus potentiellement plus importants.
Ce modèle d’exploitation reste difficilement scalable car il dépend des surfaces d’exploitation disponibles.
Enfin, certains opérateurs optent pour la possession des bâtiments afin de capter directement la création de valeur que le modèle du co-living apporte à l’immeuble.
Enjeu d’optimisation de la surface des résidences
Un des autres enjeux pour ces acteurs est lié à la surface des bâtiments.
Le but des opérateurs est de pouvoir d’un côté mutualiser un maximum d’espaces communs pour de l’autre pouvoir offrir une palette de services large. Pour ce faire, les opérateurs sont à la recherche de grandes surfaces car il est plus difficile d’absorber les coûts d’exploitation sur de petites surfaces. Comme pour le co-working, il existe donc une logique de densification.
On retrouve alors des différences de modèle entre les opérateurs qui maximisent le profit en ouvrant des résidences XXL (Ecla campus de 35 000m2, The Collective, The Babel Community) et d’autres qui s’obligent à rester sur des formats à taille humaine pour favoriser leur promesse initiale : « des lieux de vie et d'échange » nous explique Edouard Chandavoine de chez Sharies. Les résidences de Sharies varient jusqu'à 6.000m² et misent sur la valorisation et la rentabilisation de chaque espace : par exemple les sous-sols et les caves inexploités peuvent être aménagés en espace de cinéma et de fitness.
Typologie de fonciers cibles : Projet neufs ou réhabilitation
L’autre enjeu majeur des acteurs du co-living est de choisir entre la construction d’un bâtiment neuf ou l’aménagement d’un bâtiment ancien. Si le bâtiment n’est pas neuf, il faut qu’il se prête techniquement à la transformation au modèle du co-living et les opportunités de restructuration sur de l’existant s’étudient au cas par cas.
L’avantage du co-living est également environnemental : la rénovation de lieux en résidence de co-living permet à des espaces abandonnés d’être optimisés. Par exemple, Colonies a lancé sa résidence rue Cambronne dans l’ancien siège d’Adoma.
L’offre attractive des opérateurs du co-living
Certains acteurs du co-living proposent une offre moins chère que celle du marché traditionnel. Les revenus de l’immeuble sont dopés grâce à la mutualisation des services et à l’offre de services additionnels.
En augmentant la densité des logements et en louant à la chambre, les opérateurs peuvent obtenir des loyers au mètre carré plus élevés tandis que les locataires bénéficient simultanément de loyers moins élevés.
Le co-living devient une alternative à la location traditionnelle qui permet de pallier la crise du pouvoir d’achat face à la hausse des prix de l’immobilier.
Source : Institut de l’épargne immobilière & foncière, Le coliving : une nouvelle classe d’actifs d’investissement? et Idinvest Partners.
Le modèle du co-living est également intéressant car il permet de mutualiser le risque locatif. De nombreux facteurs (coûts attractifs, flexibilité, services offerts) contribuent à des taux d’occupation élevés des espaces de co-living.
Selon JLL, les espaces de co-living offrent aux investisseurs une prime de loyer nette de 30% par rapport à celle des appartements traditionnels. Il garantit un rendement stable et des risques atténués par des garanties de qualité supérieure, ce qui est très attractif pour les investisseurs institutionnels.
Enjeu #2 : absence de statut juridique propre
Non défini légalement, le co-living ne trouve pas son équivalent dans l’offre existante : n’est pas un logement classique, n’est pas une nuitée hôtelière (qui est plus souvent limitée dans le temps), n’est pas une offre de colocation (qui n’offre pas de services).
S’il est clair que l’opérateur conclut un contrat de bail commercial avec le propriétaire de l’immeuble, la question du contrat entre cet opérateurs et les co-livers n’est pas résolue. Contrat de bail meublé ? Contrat de location saisonnière ? Contrat de logement foyer ? Contrat sui generis ? Contrat mobilité ?
Cette question est fondamentale puisqu’elle détermine notamment la sécurité des revenus pour les opérateurs. Par exemple, dans un contrat de bail, une caution est versée au moment de l’état des lieux et les garants sont désignés pour recouvrir des arriérés de loyer. Ce n'est pas le cas pour une nuitée hôtelière.
Elle détermine également les exigences de durée de préavis. Selon le modèle hôtelier, la location prend fin à l’heure indiquée de check-out. Selon un logement meublé, le propriétaire est tenu de présenter un préavis de trois mois.
Source : Etude co-living de BNP Paribas Real Estate et Service-public.fr
Le co-living soulève également des questions de destination des bâtiments dans le droit de l’urbanisme et de la construction : est-ce que le bâtiment peut être considéré à usage d’’habitation ou à destination commerciale et d’activités de service (accueil, restauration, ménage, fourniture de linge, … correspond à une destination d’hôtellerie) ?
En effet, les opérateurs doivent décider de la destination finale de leur produit lors du dépôt de permis de construire. En l’absence de réponse règlementaire claire sur cette question, Anne Petitjean, avocate associée en immobilier chez Herbert Smith Freehills préconise de facto d’analyser chaque projet et “vérifier à quelle catégorie chaque projet de co-living est susceptible de plus correspondre”.
L’un des enjeux de cette définition d’usage sera notamment l’obligation de création de logements sociaux, qui est propre aux résidences d’habitation (article 55 de la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU)).
La définition de ce statut juridique permettra notamment de savoir si le l’opérateur peut se considérer comme un Loueur Meublé Non Professionnel et bénéficier des avantages fiscaux qui y sont associés.
Le ministère de la Cohésion des territoires se dit « en phase d’observation » sur la question d’une éventuelle réglementation ou législation ad hoc qui permettra d’encadrer et sécuriser ce modèle sur la durée.
Le co-living est peut-être moins présent en France qu’il ne l’est aux Etat-Unis ou en Asie, mais on lui devine un bel avenir. Afin d’appréhender au mieux les enjeux de monétisation du co-living, on peut parier que de nouveaux modèles feront surface.
Si Colonies et Sharies semblent être les leaders des pure players français, il reste encore des questions règlementaires qui amèneront peut-être une redistribution des cartes entre les acteurs historiques de l’immobilier (promoteurs, exploitants) et les nouveaux entrants.